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Chapi Montagne
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6 septembre 2015

Dans le bon sens, c’est plus facile.

2015-09-06 20

Mont Maudit : Arête Kuffner, D/700m/4b

Réalisée avec Farouk le 6 septembre 2015

PHOTOS

Il était écrit que nous ne ferions jamais l’arête Kuffner depuis le bivouac de la fourche. Après notre tentative en 2011 où nous avions rejoint le bivouac sous la tempête et rebrousser chemin le lendemain, j’ai l’impression de repartir dans la même galère quand nous tentons d’atteindre cet abri de fortune, dans le brouillard, sous la neige et sans trace pour nous guider entre le dédale de crevasses. Pourtant la météo de ce samedi 5 septembre s’annonçait plus clémente, et malgré l’insistance de Farouk à avancer tel un aveugle en sondant la neige avec son bâton, nous finissons par retourner au Torino, en espérant pouvoir dormir dans le chantier de réfection du refuge. Sur place, le cuisinier des ouvriers, gardien nocturne du chantier, nous propose d’accéder aux chambres du refuge moyennant un petit billet. Pas souci pour nous, nous sommes déjà bien contents de ne pas devoir dormir dehors. Reste à savoir si la météo du dimanche sera plus en ligne avec les prévisions sur le papier.

Pendant la nuit, je me réveille plusieurs fois (l’âge fait son effet) et à chaque sortie du lit je scrute la météo : 23h – gros gros vent et nuages. 1h30 – gros vent. 2h30 – temps clair mais toujours gros vent. Inutile de réveiller Farouk qui dort comme une masse. Je laisse le réveille sonner comme convenu à 4h30.

5h30, nous partons du refuge. Le vent est toujours fort, mais au moins les premières lueurs du jour se laissent deviner et nous pourrons nous frayer un chemin entre les crevasses. En 45 minutes, nous rejoignons notre point de retour de la veille un peu avant la face nord de la tour ronde. Nous faisons un petit arrêt. A l’abri du vent, il fait chaud. Le soleil se lève, aucun nuage à l’horizon, la journée s’annonce belle. Farouk poursuit sans trop de difficultés jusqu’à rejoindre une trace venant du refuge des Cosmiques. Au loin, sur l’arête nous apercevons un gars. Nous ne serons pas seuls aujourd’hui. Je prends la tête de la cordée à l’attaque de la Rimaye que je franchis sans difficulté.

Le premier couloir jusqu’à l’arête est vite parcourue. J’arrive alors juste au niveau du petit bivouac de la fourche que je désespérais de trouver lors de la tempête que nous avons subi en 2011. Il faut dire que nous étions montés par un couloir bien trop à droite et que nous nous étions à moitié perdus dans le bouillard. A l’époque, je lisais les mémoires de Chris Bonington et je me voyais déjà comme lui, lors de son ascension de la face nord de l’Eiger, dormir dans un trou sous la neige ; mais à ceci près que lui avait calculé son coup, par nous… Aujourd’hui, l’arête est étonnement sèche. Le vent a tout nettoyé. J’hésite un instant à enlever les crampons pour aller plus vite, mais Farouk qui vient de me rejoindre me convainc de les garder. Je raccourcis l’encordement et c’est parti. Les crampons crissent sur le rocher. Pour l’itinéraire, difficile de se tromper, il faut juste suivre l’arête…

Nous rattrapons une cordée juste au niveau du premier ressaut, tout sec (rocher et grimpeurs). Les deux grimpeurs ne semblent pas au mieux. Je les dépasse avec prudence car ils ont tendance à laisser échapper quelques pierres. En voulant les éviter, je tire un peu trop tôt à droite, et je finis dans un cul de sac sur l’arête. Demi-tour, je retourne grimper au plus simple pour rejoindre l’arête neigeuse plus haut. La demi-lune est en vue. La neige est bien dure. Je pose deux broches pour protéger un peu, mais pour la demi-lune pas le choix, il faut passer sans faillir. Je passe sans trop de stress, puis je me blottis dans un trou juste après pour protéger Farouk. Bon, ce n’est pas difficile mais il vaut mieux ne pas tomber car cela ferait mal. Je demande à Farouk de poursuivre encore quelques mètres pour rejoindre le pied de la dent d’Androsace.

Enfin la dent d’Androsace ! J’en ai rêvé des dizaines de fois et me voici devant elle. Je contourne ce gros gendarme côté Brenva comme indiqué dans le topo. Je fais bien attention car c’est normalement un moment délicat. Mais je ne trouve rien de bien compliqué. Je fais un petit relai pour faire venir Farouk avant de remonter vers la brèche suivante. Pour la suite, difficile de choisir la meilleure option : continuer à traverser ou commencer à remonter ? Il y a des traces partout. Farouk suggère une fissure où l’on devine une sangle. Va pour cette option, je me lance dans la grimpe. Le premier pas est un peu physique. La sangle coincée est en fait un friend coincé à demeure. Après quelques pas sympa, je retrouve l’arête un peu avant une brèche au-dessus d’un couloir neigeux. Nous sommes peut-être remontés un peu tôt, mais ceci n’a pas d’importance, on peut poursuivre facilement. Quand Farouk me rejoint, je lui suggère de poursuivre une vingtaine de mètres pour atteindre le ressaut suivant. La dent d’Androsace est franchie. Je suis presque déçu de ne pas avoir eu plus de difficultés.

Je grimpe le mur suivant tout droit sur une longueur en mixte et rejoins un couloir étroit qui remonte sur la gauche. C’est une petite goulotte. Je fais monter Farouk pour éviter le tirage et faire relai. Dans un premier temps, j’attaque la goulotte avec un seul piolet, mais à mi-parcours, sous un ressaut raide, je commence à me dire que je serais bien plus serein avec deux pioches. Je peste, je m’en veux de ne pas avoir mieux anticipé. Maintenant il faut que je fasse des contorsions précaires pour récupérer le piolet sur mon sac à dos. Avec le deuxième piolet, j’avance plus vite et fais relai à la sortie de cette petite goulotte. Farouk monte sans difficulté.

La suite semble plus « roulante », on raccourcit l’encordement, et c’est reparti. Nous avançons vite et le souffle commence à manquer. Farouk me colle au train avec la corde dans la main. Au bout d’un moment, je m’énerve un peu (début de fatigue ?). Il est tellement proche que je n’ai pas le temps de mettre des protections et il y a tout de même quelques passages grimpants. En râlant un peu en disant que c’est facile, il reprend tout de même un peu de distance pour assurer une protection minimale. Bah, oui, sinon on fait du solo, monsieur…

14h30, nous débouchons sur l’épaule du Maudit. La dernière section de mixte était un vrai régal à grimper. Reste la longue arête neigeuse à remonter. Je demande à Farouk s’il veut poursuivre jusqu’au sommet. « Bien entendu » me répond-t-il. Je le reconnais bien-là. Nous finissons cette dernière section en 30 minutes, bien moins long que je ne le pensais.

Sept heures de grimpe du bivouac au sommet, le topo indique 3 à 6 heures pour l’itinéraire. Eh bien, il faut avoir une sacrée caisse pour mettre seulement 3 heures, car je n’ai pas l’impression d’avoir trainé. Et la cordée que nous avons dépassée n’est même pas en vue…

Un peu sec, nous décidons de faire fondre de la neige. Quelle belle vue depuis ce sommet. Le Mont-Blanc semble à portée de main, mais, il est déjà un peu trop tard pour envisager de poursuivre. Et puis Farouk n’est pas en grande forme et préfère économiser ses forces. Il doit remonter au Mont-Blanc dans deux jours avec les géomètres de Haute-Savoie pour une nouvelle mesure du toit de l’Europe. Après 30 minutes à flâner au sommet, nous nous remettons en marche vers le refuge des Cosmiques via la voie des trois monts. Nous retrouvons les retardataires du Mont-Blanc sur cet itinéraire sur fréquenté ; la voie normale a été interdite plusieurs jours ces derniers temps à cause des très mauvaises conditions dans le grand couloir. Inutile de se presser, nous dormons au refuge. Nous profitons donc de la descente pour admirer le paysage, chose rare pour nous qui sommes habitués à courir pour attraper la dernière benne. La trace dans la face nord du Mont-Blanc du Tacul est de plus en plus étonnante. Chaque année, il faut trouver un cheminement encore plus sinueux pour éviter les monstrueux séracs qui ne semblent pas vouloir se faire discrets. Nous arrivons au refuge à 18h30, pile à l’heure pour la soupe ! Quel plaisir d’avoir fait cette voie avec autant de marge et de constater que Farouk et moi avons bien progressé depuis notre rencontre quatre ans auparavant. Nous avons pu profiter tout du long. 

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