Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chapi Montagne
Chapi Montagne
Archives
12 juillet 2015

Première benne, dernière benne

2015-07-12 12

Traversée Charmoz-Grépon, D/5c/400m

Réalisé avec Farouk et Youri les 11 et 12 Juillet 2015

PHOTOS

Nous aussi, nous sommes capables de faire cette grande classique en prenant la première benne pour l'allée et la dernière pour le retour. Bon, d'accord, c'était sur deux jours consécutifs, mais on l'a fait! Enfin, je me demande toute de même comment un gars normalement constitué peut faire cette course en une journée. Car sans connaitre l'itinéraire, il faut vraiment avoir une forme physique démente pour parcourir cette arête qui présente quelques difficultés et nécessite beaucoup de manipulation de corde. Nous, nous avons préféré grimper en mode traditionnel avec les gros sacs pour le bivouac; hé, oui, un peu comme un hommage aux anciens qui portaient les bouteilles de vin dans le sac et qui grimpaient des fissures avec des coins de bois ("Oups... il est passé par là Mummery??? Rrrhh...). Enfin, quel plaisir d'atteindre le sommet du Grépon avec deux de mes meilleurs potes de montagne.

Comme d’habitude, le rendez-vous est au parking de Mr Bricolage à Bourg Saint-Pierre. Nous squattons tellement ce parking le WE pour nos sorties alpines, que je me sens obligé de faire un peu de pub pour le magasin. Donc, dans cet établissement charmant, dont je n’ai aucune idée de l’accueil (on n’y entre jamais), vous pouvez trouver tout un tas d’outils pour le bricolage du dimanche (un peu comme la porte des enfers pour moi qui rechigne à faire la liste de travaux rédigée par Lorraine). J’y pense, Philippe qui retape son appartement pourrait faire des sorties combinées : ravito matériaux et outils le matin, course alpi dans la journée du samedi avec la nuit, et bricolage le dimanche matin à 6h ? Bon, j’éviterai d’en parler à Estelle. Enfin, quoiqu’il en soit, un grand merci à Mr Bricolage.

Allez, la pub est finie, retour aux choses sérieuses. Je suis super content de retrouver Farouk. J’espère que nous aurons plus de réussite que lors de notre dernière sortie aux courtes où le mauvais temps nous avait obligé à faire une retraite « sauve qui peut » aux deux tiers de la voie des Suisses. Youri est aussi de la partie, il manque Alex qui a eu un empêchement professionnel de dernière minute. Notre objectif initial était de faire la voie Mittellegi à l’Eiger, mais une météo incertaine nous fait choisir un autre morceau de choix : la traversée Charmoz-Grépon, avec l’espoir de pourvoir enfin atteindre cette vierge du Grépon que Farouk et moi avions raté de quelques dizaines de mètres en 2014 lors de l’ascension de la voie Grépon Mer de Glace. Cette fois la tactique est assez simple. Nous prenons la première benne, essayons de monter le plus loin possible sur la voie, passons la nuit sur une vire, et terminons le lendemain. Certes, cette tactique à l’ancienne n’est plus du goût des avions qui aujourd’hui avalent les voies à la journée. Mais au moins, nous sommes parés pour toutes les éventualités.  

7h10, nous sommes au plan de l’aiguille. C’est partie pour 3 heures d’approche afin d’atteindre les rochers des grands Charmoz. Nous traversons au plus court par les pierriers sous les aiguilles des Chamonix. Au bivouac de la moraine, avant le glacier des Nantillons, Youri trouve un pétard posé sur un rocher. Oui, un joint, un chichon, appelez cela comme vous voulez, mais visiblement quelqu’un a prévu de bien fêter son ascension au retour ! Malgré cette tentation diabolique, nous poursuivons.

9h00, sur le glacier, à l’approche de l’attaque du Rognon, je prends une trajectoire un peu trop haute et je me retrouve sur des pentes en glace noire délicates à franchir avec mon piolet ultra-light. Farouk nous remet sur le bon chemin, et après un franchissement de rimaye un peu compliquée, nous mettons le pied sur le rocher du Rognon. Il nous faut une heure de grimpe pour remonter ce bastion rocheux. Le temps passe vite… Au sommet du rognon, nous remettons les crampons et nous préparons psychologiquement à courir sous les séracs des Nantillons... Les crevasses du glacier sont légèrement ouvertes mais faciles à enjamber. Quelques années auparavant, Farouk, Youri et Alex après un bivouac au sommet du rognon étaient tombés nez-à-nez avec une crevasse de 15 mètres de large à seulement 100 mètres de leur campement...

11h00, je franchis la petite rimaye au pied des grands Charmoz puis assure Farouk et Youri. Enfin, la grimpe commence ! Farouk et Youri me guident à travers le dédale de cailloux vers la cheminée Burgener. Lors d’une autre tentative précédente, ils avaient atteint ce passage mais rebroussé chemin pensant s’être trompés. A l’approche de la cheminée, nous croissons un couple d’alpiniste avec qui nous échangeons quelques mots « On fait demi-tour, on n’a pas trouvé la cheminée Burgener, au-lieu de ça on a grimpé dans des dièdres en 6 ! ». Effectivement, toute la face est parsemée de sangles et relais, probablement laissés par des cordées égarées, difficile de se repérer dans tout cela. Mais Farouk et Youri ont une mémoire d’éléphant, en quelques minutes de marche nous retrouvons le bon passage.

12h30, j’attaque l’escalade de cette fameuse cheminée côté III Sup dans le topo de Rébuffat. Avec le gros sac et les grosses chaussures, la grimpe est un peu compliquée. Je fais relai sur petite vire, là où Farouk et Youri avaient abandonné lors de leur première tentative. Ils avaient été déroutés par la difficulté. La deuxième partie de la cheminée est bouchée par un bloc surplombant que j’évite par la droite. Le pas est délicat et peu facile à protéger. Je m’y reprends à deux fois, effectivement il est sévère ce III Sup ! Youri et Farouk me rejoignent. Le reste de la grimpe jusqu’à la brèche 3421 ne présente pas de grande difficulté mis à part les gros blocs instables qu’il faut éviter de faire tomber sur les copains.          

15h00, nous sommes à la brèche 3421. Nous avons perdu un peu de temps, mais tout va bien. Nous commençons la traversée des Charmoz. Le topo indique d’éviter le premier gendarme par la droite. Du coup, j’entame une descente de 5 à 6 mètres dans ce qui me semble être la voie, traverse un petit couloir et commence à grimper de l’autre côté du gendarme. Du bas, l’escalade à l’air compliquée mais je trouve deux pitons et une sangle qui me confortent dans mon erreur… La grimpe de cette paroi légèrement surplombante s’avère très délicate en grosses chaussures. Je suis obligé de passer en mode artif quand j’entends Farouk râler en disant « C’est pas là ! C’est pas là !». Oui, je sais, je me suis planté mais maintenant que je suis dedans, il faut sortir par le haut… J’arrive toute de même à rejoindre le fil de l’arête. Mon sens légendaire de l’orientation a encore frappé. Farouk grimpe à son tour, toujours en râlant « On va se cramer les bras, c’est n’importe quoi ! ». Youri anticipe le coup et met ses chaussons. Il doit ramasser le matériel en plus de grimper, d’ailleurs il est obligé de laisser un friend dans cette longueur…

16h00, nous avons mis 1 heure pour avancer de 10 mètres. Consternant... Nous sommes tous bien entamés. Un couple de grimpeurs atteint l’arête derrière nous. Un instant, je me dis qu’ils vont nous dépasser en une fraction de seconde et nous ouvrir la voie. Mais au lieu de ça, ils flânent à la brèche quelques minutes puis redescendent en rappel. Visiblement, je vais devoir faire confiance à mon instinct pour trouver le chemin… Je poursuis sur l’arête bien gazeuse, mais rapidement je fais demi-tour pour mettre mes chaussons d’escalade; « Y’en a marre de se mettre misère en grosses, les pas sont trop fins ». Quelques jours auparavant, j’ai visionné la vidéo de la voie sur TVmountain et les acteurs-grimpeurs semblent avoir tout fait grosses chaussures de montagne. J’espérais en faire de même mais non... Chaussons aux pieds, je contourne l’arête par la droite par un pas en adhérence, puis grimpe sur un piton rocheux. Mince, de l’autre côté c’est le grand vide, pourtant je ne vois rien de mieux pour traverser. Je fais monter Farouk et Youri, nous ferons un rappel pour descendre.

A la brèche suivante, je suis dans le doute. Je ne sais plus vraiment où nous nous trouvons par rapport à la description du topo. Sommes-nous à « la carré » ? Je cherche une grosse écaille qui mène à une dalle. Youri me montre ce qui pourrait ressembler à l’écaille. Ne voyant rien d’autre je me lance mais sans grande conviction. Effectivement, ce n’est pas vraiment ce que je cherchais mais c’est bien une écaille dont le fil descend pour terminer en pleine dalle… J’arrive à poser un friend au bout de l’écaille pour réduire l’exposition. Sorti de l’écaille, j’ai les pieds sur de petites prises. J’espère être au bon endroit car la dalle tourne autour du rocher, je ne vois pas où je vais et une fois lancé le retour sera très compliqué. Je fais un pas en adhérence et, miracle, je trouve une grosse prise cachée derrière l’arrondi du rocher. Je passe derrière. Cool, ça passe bien. Je fais venir Farouk puis Youri qui en plus du pas de dalle dois encore enlever le friend. Nous sommes maintenant au bâton de Wicks. C’est assez clair, vu le rocher. Je comprends maintenant que le niveau de détail du topo est en fait assez important. Habituellement, il y a de longues sections entre les parties typiques d’une voie, mais ici, on enchaine tous les passages mythiques les uns après les autres. Nous avançons un peu puis, nous faisons un premier rappel côté mer de glace. Je fais relai au pied d’un petit couloir sur le bord gauche d’une grande dalle. Une dernière petite grimpette de 5 mètres dans le couloir nous permet de terminer la traversée des Charmoz. 7h30 pour une traversée qui aurait dû durée seulement 4 heures. Certes nous avons démarré le matin à 7h et nous portons notre matériel de bivouac, mais toute de même, nous sommes loin du compte…

18h30, nous commençons à envisager de bivouaquer. Farouk descend en rappel le couloir vers la brèche Charmoz-Grépon. Le topo est confus pour moi dans cette zone. Il dit : « Ne pas rejoindre la brèche la plus basse (juste à l'aplomb du couloir) ». En fait, il faut simplement longer le rocher. Nous trouvons un emplacement de bivouac avec de la glace juste au niveau de la brèche. Cool nous allons pouvoir nous gaver d’eau, Farouk a insisté pour prendre le réchaud…Soupes, pates, saucissons et pain, repus, nous pouvons admirer le paysage en nous endormant sur les cailloux.

La nuit a été bonne pour chacun de nous. Les températures sont restées largement au-dessus de zéro si bien que je n’ai pas eu froid avec mon duvet +15o. Nous nous remettons en marche vers 7h. En scrutant le rocher la veille, j’ai compris où est la fissure Mummery mais par contre le passage du « livre ouvert » reste un mystère. J’aperçois sur la gauche une forme en U dans la paroi avec des sangles dans le coin gauche supérieur. Est-ce le livre ouvert ? Bon, j’y vais pour tester. Farouk et Youri me suivent. Par contre, la suite ne semble pas du tout évidente. Je fais une tentative de traversée versant mer de glace pour trouver les gradins faciles mentionnés sur le topo. Au lieu de cela, je me retrouve devant une énorme dalle de plusieurs centaines de mètre de haut… infranchissable… Demi-tour, nous ne sommes pas sur le bon itinéraire, ha quel sens de l’itinéraire ! Après une heure de grimpe, nous nous retrouvons à notre emplacement de bivouac, c’est démoralisant!

Je poursuis donc en longeant le rocher côté Nantillons, grimpe un dièdre où il y a deux pitons (comme indiqué sur le topo) puis débouche versant mer de glace sur de magnifiques terrasses. « Merde, mais un livre ouvert, c’est un dièdre ??? ». Youri et Farouk me rejoignent et admirent tout comme moi le splendide panorama sur la mer de glace inondé de soleil. Ça réchauffe le corps et l’esprit.

Nous grimpons les gradins faciles pour retraverser de nouveau versant Nantillons et atteindre le pied de la fissure Mummery. Encore un passage mythique ! Je crains que nous n’y arrivions pas avec nos gros sacs, et propose de les hisser avec la corde. Je me lance. J’obtiens l’unanimité sur ma proposition. Je commence la grimpe, tout léger. La première petite traversée pour rejoindre la fissure ne me pose pas de problème. Je trouve une grande sangle à demeure logée dedans. Je la ressort pour que Farouk et Youri puissent en profiter. L’escalade de la fissure ne semble pas évidente. Je la scrute un long moment pour voir comment me protéger, je crains de chuter sévèrement. Allez, je me lance. Coincements de mains, de pieds, un peu de renfougne, j’atteinds une marche assez confortable sur la gauche de la fissure. Ouf ! Le plus difficile semble fait. La fissure s’élargie et offre plus d’options pour grimper. J’arrive rapidement sur une plateforme au sommet de la fissure. Les anciens étaient tout de même bien courageux de se lancer dans ce type d’escalade !

Je monte les sacs. Puis Farouk attaque la grimpe. Je suis vraiment content quand je le vois sortir de la section difficile. Séance photo pour immortaliser cet instant. Gros sourires. On sait que le plus dur est fait. Youri grimpe à son tour. Il râle, peu confiant de pourvoir enchainer ; pourtant, il grimpe, grimpe,… Et voilà, nous avons tous les trois franchis cette fissure mythique.

Section suivante, le trou du canon, rien de spécial mis à part son nom. Je prends garde à suivre la bonne fissure pour la suite, et arrive à la boite aux lettres. Tout va bien. Par contre, le râteau de chèvre qui suit est peu engageant. J’arrive à mettre une vague sangle au pied du passage gazeux, mais pas de doute, la chute ferait très mal ici. Deux pas tendus et j’attiens le piton suivant. Ouf, je respire. Encore quelques mètres, j’arrive à un relai peu confortable d’où il faut faire un petit rappel. J’assure Farouk et Youri pour qu’ils montent. Dès que Farouk me rejoint, il me descend en moulinette pour faire de la place, car à trois à ce relai nous allons nous marcher dessus. Farouk fait de même dès que Youri arrive. Pauvre Youri, nous le laissons gérer toutes les manipulations de corde et nettoyer le relai, pendant que nous flânons à la brèche 5 mètres en dessous.

Je poursuis sur une petite dalle facile mais sans protection. A nouveau, rappel, mais plus long, plutôt du côté Nantillons. Puis, je fais une petite traversée côté Chamonix, gravit une fissure sur la gauche pour atteindre une plate-forme. La vire à bicyclette est toute proche! Mais de peur d’avoir trop de tirage, je fais relai pour amener Youri et Farouk. Une bonne prise de main droite permet de franchir le vide et de mettre pied sur l’énorme vire à bicyclette. Quelqu’un a-t-il jamais monté un vélo pour pédaler sur cette vire ? Encore un passage mythique. Je sors au bout de la vire par une petite escalade et fait relai juste sous la dernière longueur de la voie. Au passage, Farouk et Youri font les andouilles sur la vire à bicyclette, imitant les échappés du tour de France. C’est tellement exceptionnel d’être ici…

La vierge du Grépon est toute proche. Je propose de passer à nouveau en hissant nos sacs, j’ai trop peur de me faire coincé dans la fissure en Z. Tout le monde approuve. Je passe rapidement le râteau chèvre, bien moins engagé que le précédent, suit une traversée sur quelques mètres et je me trouve au pied d’une raide fissure évasée peu commode à franchir. Toutefois de bonnes prises de sortie (sur une écaille), permettent de passer sans trop se faire peur. Je suis maintenant à moins de 5 mètres du sommet. Que peut-il encore m’arriver ? Je reste sur mes gardes. Fissure en Z, fissure en Z, est-ce compliqué ? Je grimpe, coince une main puis un poing dans la fissure, tout semble rouler et enfin j’atteins le sommet. Cri de joie, Cri de rage, Cri de plaisir, je ne sais pas, mais j’explose de bonheur au sommet. Farouk et Youri crient aussi des « Yahoo ! ».

Avec beaucoup de respect pour les anciens qui ouvert ce magnifique itinéraire, je pose la main sur la tête de la vierge. Il fait beau, la vue sur le massif est splendide. Je suis ému.

Allez, maintenant, il faut assurer mes deux camarades. Je hisse d’abord mon sac, mais pas de bol, il vient se coincer à la sortie du râteau de chèvre. Farouk grimpe pour aller le libérer tout en portant son sac. Le passage n’est pas si difficile, Youri et lui devraient pourvoir y arriver malgré quelques kilos en plus. Le sac est maintenant à côté de moi et je continue d’assurer Farouk. Ha quel plaisir de le voir se rapprocher du sommet. Je sais qu’il attend ce moment depuis des années. Il prend la pose pour une photo au milieu de la fissure en Z: gros sourire, le pouce en l’air avec 800 mètres de vide derrière lui… Congratulations au sommet !

Youri enchaine sous les feux de notre paparazzi commun. Farouk mitraille de photos tout ce qu’il a autour : les sommets, la vierge, les choucards, et Youri qui se bat dans cette dernière fissure. J’ai hâte qu’il soit au sommet pour que l’on se prenne tous les trois dans les bras. Un dernier pas, un dernier râle, Youri s’effondre sur la plateforme du sommet. On l’a FAIT ! YAHOO !

On mange quelques barres de céréale et boit un peu d’eau. Nous ne pouvons pas trop nous éterniser au sommet, car la descente est longue. Mais je suis serein, Farouk et moi connaissons toutes les petites astuces de la descente (en particulier, le rappel de la vire CP). Farouk prend le relai de la cordée jusqu’au sommet du rognon où je propose de descendre par les nouveaux rappels (Philippe est passé par là quelques jours auparavant). Nous nous en tirons bien. Pendant les phases d’attente, j’observe avec terreur les chutes de pierres dans le couloir de droite, de vrais missiles… La marche de retour vers le plan de l’aiguille se fait au pas de course. Pas le temps de vérifier si le pétard est toujours là. Nous arrivons presque à l’heure de la dernière benne. 

          

 

 

Publicité
Commentaires
Chapi Montagne
Publicité
Publicité